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Pourquoi les DJ ne seront jamais des rockstars

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Voici le premier volet d’un triptyque qui traitera de musique, d’émotion et de branding.
Florian Pittion-Rossillon, DJ, ex Rock&Folk et Directeur Associé chez Brandcasterz, viendra porter sa pierre à l’édifice dans quelques jours. Il tentera de nous expliquer comment on peut aider les marques à raconter des histoires tout en pratiquant un art qui ne raconte rien.

///DISCLAIMER/// Cet article ne hiérarchise pas les genres musicaux et n’est pas une ode au passé ni à Radio Nostalgie. Il tente simplement d’expliquer pourquoi, malgré un succès grandissant, le DJ n’est toujours pas une star qui fertilise l’imagination. Tout commentateur qui ne prendrait pas en compte ce disclaimer sera puni et devra écouter le dernier album de Johnny en entier. Prêts ? La suite une ligne plus bas…

“Non, il n’est pas question de choix. Quel artiste n’a jamais rêvé d’être une idole, de voir ses fans prêts à se battre pour un postillon craché dans la fosse ?

Non, il n’est pas question de talent. Qui oserait dire que les C2C ont moins de talent que Nicki Minaj?

Il faut chercher ailleurs. Et cet ailleurs est dans l’esprit. Dans l’imagination plus exactement. Les DJ ne seront jamais les idoles des foules car ils ne leur parlent pas. Le DJ ne raconte rien. Il est avare, radin, refuse de nourrir les imaginaires. Une idole incarne la structure profonde de ce qu’elle représente. Ne représentant pas leur art, les DJ sont privés de ce statut.

Imaginaire : réserve personnelle d’images de Freddy M.

Bien sûr je vous connais. Vous me trouverez 1000 exceptions, 10000 contre-exemples. Car il existe des millions d’artistes. Mais dans la musique électronique il n’y a pas d’idole, pas d’icône, pas de Hendrix, pas de Jagger, pas de Jay-Z, pas de Muse et pas de Michael Jackson.

Attention : le DJ peut être un excellent artiste. Il sait jouer sur notre sensibilité, mais cette sensibilité est musicale essentiellement. Parfois même, il peut le faire avec plus de force, de profondeur et d’emprise que n’importe quel autre artiste, toutes catégories confondues. Il n’y a qu’à voir ces performances hallucinantes, dérangeantes, sectisantes, de certains DJ shamans.

Mais l’imaginaire est le royaume des images. Et le DJ, geek musical, n’est pas image : il n’est que son.

Or la fonction de représentation est fondamentale. Prenons l’exemple du groupe de musique, qui est déjà une organisation en soi, une interprétation de l’idée que se fait le groupe d’une bonne représentation scénique de la musique. Je pense ici à Daniel Arras, immense historien de l’art, et à son Portrait du Diable. Il y parle de l’importance pour la peinture de représenter, de faire sens en soi. L’organisation de l’espace, qu’il soit un tableau ou une scène, est cruciale pour la compréhension du message mais surtout pour que celui qui écoute et regarde dans le cas de la musique, puisse se rappeler (il parle de “memoria”). Se rappeler, se souvenir, est en effet la condition nécessaire pour associer une image à une émotion : c’est-à-dire à aduler. Et pour cela, il faut capitaliser sur les émotions passées.

Le groupe sur scène, en représentation, est une « table dévotionnelle » : on sait qui est la star, qui est sous la lumière, pour qui il faut vivre et aimer, qui parmi le groupe est à la droite du Père ou qui reste en retrait, au service de ce Lucifer, le plus beau des anges, celui qui porte la lumière.

Quant au DJ, il est seul, il n’attire pas la lumière. Dans un club ou en représentation, la scène est un cockpit retiré du monde, resté dans l’ombre, qui dirige et commande un public placé sous les projecteurs. Tout est inversé. Le DJing est un art sans représentation.

La bande, le groupe, le nombre ne changent rien à l’affaire.

En effet, être plusieurs sur scène ne multiplie pas la lumière car le groupe fonctionne comme un tout cohérent. Ce n’est pas parce qu’il est seul que le DJ est dans le noir.

Regardez l’idole de lumière qu’est Lady Gaga : peu importe que sa robe soit de viande ou de paillettes : elle irradie, elle aimante le regard. Je reprends ici largement une chronique tout en sémiologie de Raphaël Enthoven (qui s’y connaît en Rockstar, ayant eu la même amoureuse — une certaine Carla B. — que quelques Dieux en la matière : Jagger, Clapton…) Alors que nous dit-il ? Principalement que Lady Gaga est le paroxysme de l’image, de la représentation, « une pure mythologie contemporaine qui n’a pas d’envers ». A elle seule, et peu importe son art, peu importe ce qu’elle a à nous dire, elle est « un spectacle immédiatement et intégralement intelligible ». Elle n’a pas de sens mais est un sens. Et ça marche. En bonne Warholienne, elle sait que « la célébrité elle-même est un art ». Elle ne joue jamais, la représentation est son mode de vie. Merci Raphaël.

Mais tout ça pour dire quoi ? Qu’à l’opposé, tout au fond de la maison de disque, le DJ vit caché d’un art que l’on ne saurait montrer.

Pourtant les tentatives pour sortir du trou noir ne manquent pas, mais il suffit de voir le ridicule des clips de David Guetta pour se rendre compte qu’il est aussi difficile de rendre sexy et flamboyant un DJ dans un clip que de demander à Lio un autographe de Bertrand Cantat.
Un exemple particulièrement frappant est un des derniers monstre vidéo-ludique du frère de Bernard Guetta : voir ce bon David s’agiter derrière une platine immatérielle est navrant et un peu touchant, mais c’est surtout révélateur d’une incapacité à mettre en scène et incarner son art.

Comment représenter l’invisible ?

Si la plupart des genres musicaux savent s’incarner sur scène et ont ainsi construit leur propre imaginaire (Ray Charles, ses lunettes noires, son piano et ses chœurs Blacks ; le groupe de jazz en costard propret ; le bluesman saignant sur sa Les Paul, le groupe de rock sautillant et hurlant …) la musique électronique en est orpheline. Et il y a une raison principale à cela : le son ne vient pas d’un instrument mais d’une machine. Ah le bon vieux temps du DJ qui caressait, stoppait et faisait chanter ses vinyles, immenses soleils noirs brillant dans les mains du musicien. On peut noter ça et là quelques tentatives, inventives et récréatives, mais en aucun cas aptes à former une iconographie.


Scratch Bandits Crew — Break Ya Neck Remix par scratchbanditscrew

Que montrer d’un art digital ?

Que filmer lorsque les uniques gestes du DJ sont le click, le réajustement du casque à moitié sur l’oreille et la main levée ? Rendez-vous compte de la portée de ce seul élément : le casque sur les oreilles ! Qu’imaginer qui puisse symboliser avec plus de force la coupure de l’artiste avec la représentation de son art ? Que reste-t-il à l’imagination quand le performeur lui-même est coupé du monde ? Que montrer quand tout est entièrement numérisé ?

Fini le hip-hop, fini Kheops qui, du fond d’IAM sur scène envoyait du beat et donnait sa profondeur scénique, visuelle, à la performance. Mais je ne suis pas un spécialiste, je parle seulement de la frustration par rapport à un art qui ne délivre plus que la moitié de sa promesse. Je citerai donc, pour la caution technique du spécialiste, un très bon article de CultureDJ sur OWNI. Ecrit par Florian Pittion-Rossillon vous dîtes ?

« Pendant longtemps, le DJ dans sa version moderne – mixant les morceaux qu’il passait – manipulait exclusivement des vinyles. La musique étant reproduite physiquement dans le sillon du plastique. Puis ces morceaux sont devenus des fichiers numérisés. Les platines CD sont apparues, et ensuite des logiciels intégrant lesdites platines dans des laptops : les supports de mix sont devenus digitaux à leur tour. Et Panasonic a annoncé l’arrêt de la fabrication des platines Technics SL1200 MKII, un peu comme si Fender arrêtait la Stratocaster. La musique et les outils nécessaires à l’exécution des mix ont été dématérialisés. Reste à savoir si l’intérêt des DJ est également devenu virtuel. »

Le message est clair : si la dématérialisation de la musique et l’invisibilité croissante du DJing ne nuisent en rien à sa qualité intrinsèque, il s’avère cependant que cela ne crée pas les conditions nécessaires à l’émergence d’icônes ou de figures tutélaires, celles qui rentrent dans la culture et l’imaginaire collectifs.

De la nécessité de raconter une histoire

Le sens nait de la comparaison. La musique électronique n’a de sens que dans sa comparaison par rapport aux autres genres artistiques et musicaux. Je suis un peu absolu mais ce n’est pas moi qui ai commencé, c’est Saussure. Dans ce cas là, comment se comparer, comment émerger, comment exister si l’on ne montre et donc raconte rien. Je suis d’accord, la musique électronique existe bel et bien et connait de plus en plus le succès. Et même que j’aime ça. Mais ce succès est un succès musical qui ne fertilise pas l’imagination. Pourquoi, en dépit de la qualité et du succès de sa musique, le DJ continue d’être sans visage ? Car, ne racontant rien, il ne peut se comparer et faire sens.

Le cas Daft Punk

Les Daft Punk sont à la croisée des chemins, ils émergent du néant visuel. Comment ? Ils incarnent leur musique. Ils sortent du digital, du non réel (les clips cartoons rajoutant à cette dématérialisation) et ce grâce à leur costume, leur casque, leur habit de scène. Les Daft Punk sont à la fois le symptôme et le remède. Le symptôme car même sur scène ils ne montrent rien de qui ils sont et surtout, on ne peut voir d’où le son jaillit. Ils sont l’antithèse de Lady Gaga qui montre tout. MAIS, ils ont su faire de leurs apparitions une histoire, celle d’humains roboïdes venus sur terre pour faire danser.

Je cite ici un article de Pitchfork, suite à la sortie de Random Access Memories. Je crois que les Daft Punk eux-mêmes clarifient assez bien la situation.

“Looking at robots is not like looking at an idol,” contends de Homem-Christo. “It’s not a human being, so it’s more like a mirror– the energy people send to the stage bounces back and everybody has a good time together rather than focusing on us.” Also, it turns out those helmets make it pretty hard to, you know, see. “The visors are very, very tinted, and I’m shortsighted, anyway,” says Bangalter. “I could hear the clamor, but I have hardly any visual memory of the tour aside from looking at our controllers.”

Les Daft Punk fredonnent un air de solution

Au fond qu’importe la dématérialisation de l’instrument de musique ou de la musique elle-même : il faut pour exister ailleurs que dans l’espace sensoriel du son, orchestrer sa performance en créant un univers, en sortant de son cockpit. Le DJ, art jeune, doit déjà se réinventer pour nous parler de nouveau, condition de son succès.”

Mathieu Daix


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